Penser la radicalité au-delà de la religion

22/01/2018

Dans le cadre d’un projet débuté en 2017 avec une équipe de sept chercheurs permanents, Anne-Sophie Lamine, professeur des universités en sociologie a décidé d’étudier la radicalité dans une perspective plus large en y incluant les religiosités intensives et les rigorismes. Décryptage.

En préambule, pouvez-vous définir les termes « religiosités intensives », « rigorismes » et « radicalités » ?

La religiosité signifie la religion en pratique. « Intensive » marque la régularité de la pratique. Elle va souvent de pair avec des signes visibles (port du voile, kippa…) et une certaine discipline de soi qui peut devenir une ressource notamment dans le travail. Le rigorisme est l’idée d’une attitude conservatrice par rapport à la pratique et à la croyance religieuse. La radicalité ou radicalisation commence lorsque la personne devient significativement intransigeante. Il faut noter que les termes vont encore être discutés.

Quelle est la genèse du projet ?

Avec les attentats, des questions se sont posées sur la radicalité… Mais la radicalité, il y a une tendance à la mettre à toutes les sauces…  Je contribue à des formations sur le fait religieux notamment auprès de personnes qui travaillent dans le social. Je me suis rendue compte qu’il est difficile de distinguer un jeune pris par le religieux d’un autre en train de se radicaliser. J’ai ainsi voulu créer une équipe de recherche afin d’apporter une réponse originale en regardant la question de la radicalité dans une perspective plus large qui inclut religions intensives et rigorismes.

Parlez-nous de votre équipe de recherche ?

J’ai remporté un appel d’offres de l’Agence nationale de la recherche en ayant constitué une petite équipe de sept chercheurs (quatre titulaires, un post-doc et deux doctorants)  qui vont travailler sur le projet durant trois ans, jusqu’en 2020. Notre originalité réside notamment dans l’interdisciplinarité. Nous avons un pôle fort en sociologie, une politologue, une personne en psychologie pour prendre en compte le fonctionnement psychique des personnes et la psychopathologie. Un volet « travail social» sera piloté par Bruno Michon qui occupe un poste à l’Estes (Ecole supérieure en travail éducatif et social). Sans oublier un islamologue arabisant. La plupart d’entre nous interviennent dans des stages avec des professionnels, il y aura des groupes de discussion, beaucoup d’observations, d’entretiens, d’analyses de discours, de vidéos. Nos avancées pourront être suivies via un blog. Pour clôturer le projet, un colloque sera organisé.

Quels sont les pièges à éviter ?

Quand on n’est pas spécialiste, on a tendance à penser que quelqu’un de très pratiquant va de pair avec une attitude fermée, intransigeante envers les autres. Nous, nous découplons les deux paramètres. Il peut y avoir des personnes très pratiquantes ouvertes à l’altérité et inversement des personnes peu ou pas pratiquantes qui utilisent leur identité musulmane pour s’opposer à la société. (cf schéma)

Qui est concerné par la radicalité ? Comment expliquer ce phénomène ?

De nos jours, un jeune qui a envie d’en découdre avec la société, qui souhaite être radical de façon violente n’a guère de ressources disponibles. Par exemple, il n’y a plus de mouvements d’extrême gauche violents ce qui explique que certains jeunes se tournent vers des mouvements qui se justifient par l’islam. C’est un moment de vie où on cherche un idéal, où on s’oppose. Nous avons observé que certains jeunes sont partis pour Daech avec l’idée de sauver des enfants, d’autres avec des aspirations plus guerrières et anti-occidentales.

La radicalité est-elle toujours étudiée en lien avec la religion et qui plus est l’islam ?

Pour le projet, comme c’est une question actuelle, je me suis davantage intéressée à la radicalisation se revendiquant de l’islam mais nous l’étudions toujours dans une perspective comparatiste. Nous lisons des auteurs qui travaillent sur d’autres radicalités comme en politique.

Les attentats ont-ils accentué les phénomènes de radicalisation et de repli sur soi ?

Les  rapports sociaux fonctionnent de telle manière que le fait de renvoyer une personne à sa différence renforce son sentiment d’être différent provoquant ainsi l’accentuation du processus d’opposition à la société. Ces différents éléments se sont renforcés avec les attentats. Aujourd’hui, on observe à la fois un phénomène de déclin et de renouveau des pratiques.

Propos recueillis par Marion Riegert

Good to know

Anne-Sophie Lamine (54 ans) est professeure de sociologie à l'Université de Strasbourg. Elle est membre de l'UMR 7363, SAGE, "Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe" (à compter du 1er février 2018). Ses recherches portent sur la pluralité religieuse et sa régulation dans l'espace public ainsi que sur les médias musulmans. Elle travaille aussi sur les diverses formes et intensités de croyances et sur la pertinence sociologique contemporaine du pragmatisme de John Dewey.

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