La question de la soviétisation dans le viseur d’Emilia Koustova

11/10/2018

Série Prix espoirs 2018. Emilia Koustova, chercheuse au laboratoire Groupe d'études orientales, slaves et néo-helléniques, compte parmi les 10 lauréats 2018 à avoir reçu un prix espoir. Elle revient sur une carrière débutée en Russie qui l’a menée sur les rives du lac Baïkal en quête de témoignages de déportés, avant de s’intéresser aux reporters de guerre. Une recherche liée à l’histoire du 20e siècle russe et est-européen, depuis 1917 jusqu’à aujourd’hui, où son passé la rattrape « presque malgré elle ».

Les premiers pas de chercheuse d’Emilia Koustova se font à la faculté d’histoire de Moscou. En parallèle, la jeune femme étudie au Collège universitaire français. Elle quitte l’université russe pour Paris en 1998, et réalise un mémoire sur les fêtes et rituels politiques de la révolution russe. Un sujet qu’elle approfondie en thèse à San-Marino en Italie avant de retourner à Paris pour des études de traduction. Emilia Koustova s’engage ensuite dans un projet collectif soutenu par l’Agence nationale de la recherche.

Objectif : recueillir des témoignages d’anciens déportés originaires d’Europe de l’Est par et vers l’Union soviétique. Et ce à partir de 1939 jusqu’à la mort de Staline, soit plus d’un million d’habitants au total. « Parfois, il s’agissait d’une politique systématique visant les Pays baltes pour contribuer à soviétiser les territoires », explique la chercheuse chargée de mener les entretiens en Sibérie où elle se rend pour la première fois en 2008. Un travail qui la replonge dans son histoire personnelle. « Ma grand-mère est d’origine lituanienne, mes grands-parents ont été déportés à Irkoutsk à l’époque tsariste, au 19e siècle, j’avais l’impression de retrouver mes origines. »

L’adaptation dans l’exil

Sur place, Emilia Koustova se rend compte qu’il y a beaucoup de déportés qui ne sont jamais retournés chez eux ce qui la conduit à s’intéresser à la question de l’adaptation dans l’exil et de l’intégration, un sujet dont elle prévoit de faire un livre. « Leurs récits de vie, au départ marqués par le traumatisme, ont intégré au fil du temps la mémoire collective russe pour devenir des récits soviétiques. Ce qui tranche à première vue avec les témoignages d’anciens déportés retournés dans leur pays d’origine. »

En 2010, Emilia Koustova devient maître de conférences en civilisation russe à l’Université de Strasbourg, elle dirige depuis septembre le département d’études slaves. « J’ai choisi la recherche française à cause de ses traditions dans le domaine des sciences humaines et sociales et puis, à l’époque, le département d’histoire soviétique de mon université d’origine ne permettait aucune mise en cause. Et je crois que ça n’a pas énormément changé… », sourit la jeune femme qui précise que l'enseignement supérieur a tout de même beaucoup évolué en Russie.

Deux sujets sont plus récemment venus rejoindre son champ de recherche. Le premier concerne le fonctionnement de la presse soviétique et plus précisément les correspondants de guerre. « L’idée est de voir comment s’est forgé le récit de la guerre au moment même des évènements. » La chercheuse note que cette expérience de la guerre, comparable à une fenêtre de liberté pour les intellectuels, conduit certains auteurs à une révision de leurs opinions et de leurs engagements. Un livre compilant ces récits d’expériences est en préparation.

Un grand-père cameraman dans la Russie soviétique

Là encore, a posteriori, Emilia Koustova se rend compte que son histoire et sa recherche se croisent. « Je ne sais pas si c’est inconscient ou le fruit du hasard », glisse la chercheuse qui a découvert qu’un de ses grands-parents était cameraman dans la Russie soviétique. « Il a filmé certains défilés en 1920/1921 que j’étudie depuis mon master. » Enfin, un dernier projet ANR dirigé par Vanessa Voisin et consacré aux procès visant les criminels nazis dans les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, la conduit à collaborer avec Audrey Kichelewski, autre prix espoir. « Je m’occupe de la partie Lituanie. C’est avant tout un travail d’enquête dans les archives, mais qui touche à des sujets brûlants pour ces pays qui ont souvent du mal à faire de la place au récit de la shoah. »

Tous ces projets ont pour fil conducteur la question de la soviétisation : « Comment, malgré les répressions et les violences, le régime rend possible une certaine adhésion et n’exclut pas une ascension sociale ? Comment expliquer que les gens qui, comme mes grands-parents, ont été directement touchés par les répressions staliniennes aient fait des carrières et été membres du parti? C’est tout le paradoxe. » Une recherche encouragée par le prix espoir dont Emilia Koustova a déjà utilisé une partie cet été pour se rendre un mois à la bibliothèque du congrès de Washington et aux archives du "United States Holocaust Memorial Museum". « C’est un grand encouragement qui me facilite la vie et me pousse à approfondir ma recherche. Une source de motivation qui tombe à point nommé. »

Marion Riegert

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