Retour sur la découverte du plus ancien homo sapiens moderne

11/06/2019

Série 10 ans de recherche épisode 5. En 2013, au terme de 4 ans de vérifications, le plus ancien homo sapiens moderne apparait enfin au grand jour. Il s’agit de Jacqueline, 60 000 ans, dont le crâne reposait dans une grotte du nord-est du Laos. Rencontre avec Philippe Duringer et Jean-Luc Ponche, deux chercheurs strasbourgeois qui ont participé à la découverte. Une découverte qui en a caché bien d’autres…

« Pour passer dans ce trou, il faut maigrir avant d’entrer », sourit Philippe Duringer, membre de l'École et observatoire des sciences de la terre (EOST) lorsqu’une photographie apparait sur l’écran de son ordinateur. Installé au milieu de roches de toutes sortes, au côté de son acolyte Jean-Luc Ponche, physico-chimiste au Laboratoire image, ville, environnement (Live), le sédimentologue se remémore non sans humour ses missions dans la montagne de Pà Hang située au nord-est du Laos.

« Les fouilles ont démarré dans les années 30, dans un abri sous roche qui avait livré plusieurs tombes de facture moderne (12 000/15 000 ans) mais tout a été arrêté en 1940 à cause de la guerre », raconte Jean-Luc Ponche. Le lieu est oublié jusque dans les années 2000 où les recherches reprennent. Au bout d’un an le site est relocalisé, Jean-Luc Ponche et Philippe Duringer sont appelés pour assurer les parties géologiques et prospection de la mission.

Un jour ce dernier décide d’inspecter la partie haute de la montagne encore inexplorée. « C’est un endroit très joli, il y a une arche de pierre, de la végétation, on se serait cru dans Indiana Jones ! » Et là, « coup de bol incroyable, nous avons vu émerger de la végétation quelque chose qui ressemblait à un abri sous roche. Derrière un rideau de végétation, se cache une grotte « dantesque d’environ 70 mètres de longueur, plongée dans le noir. En raison de son exposition et de la rivière en contrebas, nous pensions que ça avait pu être un lieu d’habitation. »

Des araignées, des milles pattes de 30 cm de long, des serpents…

Le lendemain, armés de pelles et de pioches, les chercheurs décident de braver la faune locale et de creuser un premier trou dans la partie gauche de la grotte. Rien. Une deuxième fosse est creusée. Toujours rien. Tentant le tout pour le tout, ils s’attaquent à la partie droite, effectuant un sondage jusqu’à 1 m 60 de profondeur sans plus de succès. « Le projet est alors d’abandonner les recherches. Avant de partir, un collègue a tout de même pris du charbon de bois pour le faire dater. »

En 2009, un an après, alors que nos deux géologues s’apprêtent à repartir dans le secteur sur d’autres fouilles, ils reçoivent un coup de fil. Le charbon de bois est vieux d’environ 60 000 ans. « On s’est dit que s’il y avait des ossements, c’est le scoop ! » Sur place, le troisième trou est élargi et un crâne est découvert. Il appartient à une jeune femme vieille tout de même de quelque 60 000 ans.

Jacqueline, nommée ainsi en hommage au géologue Jacques Fromaget qui a prospecté dans la région au début du 20e siècle, est considérée comme le plus ancien Homme moderne. « C’est la première présence attestée de l’homo sapiens dans cette partie de l’Asie », souligne Jean-Luc Ponche. La découverte ne sera publiée qu’en 2013 après vérification de toutes les datations.

Une chasse au trésor

Depuis, les fouilles se poursuivent et chaque année Jean-Luc Ponche et Philippe Duringer se rendent sur place. Le reste du corps de Jacqueline n’a pas été retrouvé mais deux ans plus tard, une mandibule plus rustique est découverte, puis une phalange et un menton datés d’environ 70 000 ans. Sans oublier une côte de 80 000 ans. « Nous faisons en moyenne une découverte par an », glisse Philippe Duringer. Dernière en date en 2018 avec un frontal présentant une arcade sourcilière dépourvue de renfoncement. « C’est donc bien un homo sapiens aux traits tout à fait modernes que l’on pense âgé de 100 000 ans (les datations sont en cours) »

Ces traces détectées à des périodes différentes montrent que la région est un lieu occupé par homo sapiens au moins pendant 50 000 ans. Avec une vingtaine de cavités encore à explorer, les chercheurs ne sont pas au bout de leur pioche. « Du point de vue chasse au trésor ce site est extraordinaire ! », conclut Philippe Duringer.

Marion Riegert

Vivez la découverte en images

Une scène de crime dans une grotte

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En marge de cette découverte, en 2017, les deux chercheurs, avec l’aide de Quentin Boesch qui fait partie de l’équipe depuis quelques années, sont tombés par hasard sur une tombe. « Nous étions à Tam Pà Ling, Jean-Luc terminait un échantillonnage de sédiments, nous avons décidé de prendre de l’avance. Le long du chemin, nous nous sommes arrêtés à une petite grotte pour l’attendre. Pour passer le temps, nous avons commencé à donner deux ou trois coups de pioche. » Euréka : Les chercheurs, rejoints par Jean-Luc Ponche, tombent sur de la poterie. « Nous avons appelé les archéologues qui ont ensuite découvert un collier puis des os. Un homme de 3 000 ans était enterré là avec dans sa cage thoracique une hache. C’est carrément une scène de crime ! », s’exclame Philippe Duringer. « Nous avons découvert la victime et l'arme du crime mais l’assassin court toujours », plaisante Jean-Luc Ponche.  « C’est à ce jour et pour cette période, la tombe la plus complète du Laos. Il ne lui manque pas une seule phalange », précise Philippe Duringer.

10 ans de recherche à l’Université de Strasbourg

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L’Université de Strasbourg fête ses 10 ans. L’occasion de partir à la rencontre des chercheurs et ainsi mettre en lumière chaque mois une recherche ayant eu lieu entre 2009 et 2019. Voir comment ces dernières ont évolué à travers le temps débouchant parfois sur des impasses ou donnant lieu à de nouvelles découvertes. Retrouvez tous les articles de la série sur notre timeline.

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