« Aucune épidémie n’avait jamais autant circulé »

02/04/2020

[Série] Regards croisés de chercheurs sur le Covid-19 : histoire des épidémies. Les épidémies frappent le monde de manière régulière depuis le Moyen Age mais jamais aucune d’entre-elles n’avait touché autant de personnes, à une si grande échelle. Le point avec Christian Bonah, président du Département d'histoire des sciences de la vie et de la santé.

Pouvez-vous définir ce qu’est une épidémie ?

« « Epidemos » vient du grec et signifie littéralement ce qui tombe sur le peuple. Les épidémies sont un phénomène permanent et récurrent. Ce n’est pas qu’une question de chiffres, on parle d’épidémie lorsqu’il y a un phénomène de pathologie qui va se transmettre rapidement et de manière simultanée sur un ensemble de population sans considération d’âge, de sexe… Le phénomène des épidémies est connu depuis l’Antiquité, il est notamment question de la peste chez Thucydide, mais il débute réellement avec ce qui se joue en Europe au Moyen Age avec la découverte du reste du monde. C’est le début du commerce moderne, un élément important où les maladies transportées comme passagers clandestins apparaissent. »

Quelles ont été les grandes épidémies ? 

« Revenant tous les 30/50 ans, il y a eu les grandes pestes au Moyen Age et à la Renaissance qui tuent jusqu’à un tiers des populations. A cette période, Christophe Colomb importe également la grippe en Amérique. Elle terrasse la population indienne qui n’a pas d’immunité face à cette maladie. En retour, la syphilis est rapportée en Europe. Ce qui change, ce sont les voies de transmission. Un deuxième moment se situe au début du 19e siècle, les pathologies se modifient avec l’apparition de maladies exotiques comme la fièvre jaune, le choléra… venus pour la plupart d’Orient… C’est de cette dernière que vient l’expression « une peur bleue » car les gens se déshydratent et deviennent bleus. »

La stratégie du confinement était-elle utilisée ?

« Depuis l’arrivée des épidémies, la première stratégie pour y faire face est le confinement par rapport à l’extérieur, en faisant usage de frontières. Par exemple, en interdisant les ports aux bateaux venus d’Orient. Ils restent alors en rade durant quarante jours, d’où le terme de quarantaine, avant de pouvoir accoster. Sur terre, le confinement est plutôt pensé à l’échelle de la ville ou du village avec la mise en place de contrôles au niveau de leurs enceintes et l’arrêt de la circulation entre les hommes et les biens. L’utilisation d’habits et de masques pour faire barrière est également employée mais avec une fonction plutôt symbolique.

Existait-il déjà des mécanismes internationaux ?

« La première conférence sanitaire internationale a lieu en 1851, l’Europe a alors un rôle central. Un comité d’hygiène de la Société des Nations est ensuite créé puis, en 1945, l’Organisation mondiale de la santé est instaurée pour gérer la coordination internationale dans la lutte et la surveillance des épidémies. »

Quel regard porter sur le Covid-19 au vu des épidémies passées ?

« Dans le cas du Covid-19, le confinement est à la fois un acte politique et sanitaire. Ce qui est particulier ici, c’est que l’on cherche une unité pertinente de confinement mondialisé avec un repli sur la famille et l’habitat. L’analogie se situe ainsi plutôt du côté militaire avec ce qui s’est fait pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale. En terme d’extension, aucune épidémie n’a jamais autant circulé et le Covid-19 devrait à terme toucher 50 à 60% de la population mondiale. La majorité des cas sont plutôt bénins. A titre de comparaison, lors de la grippe espagnole, au sortir de la Première Guerre mondiale, les morts se comptaient en millions. Même si, paradoxalement, la maladie peut devenir gravissime et de manière très rapide. Ce qui est intéressant, c’est que, mis à part le Sida, nous n’avions plus l’habitude de vivre des épidémies, c’est comme si nous sortions d’une trêve sanitaire. L’épidémie nous rappelle aussi que la gestion de l’hôpital, plus tournée depuis vingt ans vers l’administratif et l’économique, est problématique. L’épidémie le ramène au cœur de son métier : soigner et sauver des vies. »

Propos recueillis par Marion Riegert

Regards croisés de chercheurs sur le Covid-19

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